Auteur de l'article : Quilhot Diego
Interview de Cédric Grenier, dans le cadre de la rédaction de l’article "Les bons cotés à être drogué d’Internet", le 6 décembre 2009.
Diego : Bonjour, je suis Diego, étudiant en informatique à l’université Joseph Fourier, nous sommes ici pour comprendre mieux la notion de drogué d’internet.
Cédric : Bonjour Diego. Je suis donc Cédric, je suis employé de banque, j’ai 30 ans et je suis sur Internet depuis ses débuts en France (ou presque !)
D : Comment définiriez-vous un "drogué d’internet" ?
C : Pour moi, un drogué d’Internet c’est quelqu’un qui ne peut pas passer une journée sans se connecter sur Internet. Qui se connecte même sans réel but, juste par habitude. Comme on zappe des chaines à la TV. Il passe d’un blog à l’autre, d’un site à l’autre, d’un forum à l’autre. Sans doute une personne qui sent un manque lorsqu’il ne peut pas checker ses mails ou aller voir les commentaires de sa page Facebook.
D : D’après vous, un drogué d’internet est donc quelqu’un qui ne recherche rien lorsqu’il se sert de la dite "drogue" qu’est internet ? Qu’est-ce qui le pousse donc à se connecter aussi fréquemment ?
C : L’habitude essentiellement. Il a commencé Internet en cherchant des infos précises. Aujourd’hui il surfe sur ses sites/forums/blogs préférés sans rien chercher de particulier. Juste pour voir s’il y a de la nouveauté. Pour passer le temps aussi. Parce que mine de rien il y passe forcément un temps fou.
D : Vous considérez vous vous-même comme drogué d’internet, dans une certaine mesure ?
C : Drogué est peut être un terme un peu fort. Mais j’en suis sans doute dépendant vu qu’à part en vacances, j’aurais bien du mal à me passer d’une connexion Internet pendant une semaine !
D : Les médias montrent souvent le monde d’internet comme dangereux pour les enfants, voire les adultes, le caractérisant comme addictif. Cependant, ils ne parlent pas souvent des bons cotés qu’Internet peut avoir... Quel est votre avis sur la question ?
C : Les médias n’intéressent les gens que lorsqu’ils choquent et font peur. C’est normal qu’ils s’attardent uniquement sur les défauts du réseau. Des défauts qui ne faut absolument pas négliger car Internet n’a pas apporté que du bon c’est une évidence. Internet est aujourd’hui un symbole de liberté. Liberté de faits, d’expression. Et comme lorsqu’on donne trop de liberté aux gens, il y a ceux qui s’y épanouissent et inventent des choses sans complexes et d’autres qui profitent et font n’importe quoi (d’autant qu’Internet est anonyme ou presque...)
D : A mon humble avis, Internet est un outil, très bénéfiques pour ses utilisateurs, et dans la grande majorité de ses usages. Qu’en dites-vous ?
C : Pour moi c’est un outil formidable. Après je sais pas si c’est "bénéfique". C’est pratique, informatif. Ca épanouit les passions, pousse les gens à être plus curieux aussi. Mais ça fait oublier certaines règles à certains, cela les coupe aussi du monde réel. Même si aujourd’hui Internet est tellement implanté qu’il va sans doute falloir redéfinir le "monde réel" pour les générations futures
D : Si internet est un outil, et a des usages pratiques, est-ce que le simple fait de le qualifier de drogue est incorrect en lui-même ?
C : Je pense qu’Internet regroupe tellement de choses que ce n’est pas vraiment son "aspect outil" qui est addictif et qui peut donc être assimilé à une drogue. On devient dépendant du côté "social", de la façon dont on le consomme. C’est un média où l’on devient actif et cela nous force sans doute à réfléchir d’avantage que devant la TV par exemple. Je crois pas qu’une personne puisse être drogué de Google. Mais par Google il est peut-être tombé sur des sites passionnants, tenus quotidiennement et il a pris l’habitude de les visiter.
D : Internet n’est peut-être alors simplement qu’une passion, tout comme lire des livres ou aller voir des films au cinéma ?
C : Je pense pas que cela soit « juste » une passion. D’autant que c’est souvent pour un sujet précis (une passion) qu’on se retrouve sur Internet. C’est une plateforme qui nous permet de développer nos passions. Nous informer davantage, développer un réseau virtuel d’amis sur le sujet. Parce qu’on peut lire sur Internet, voir des films, écouter de la musique. Pour moi c’est immensément plus riche que les passions que vous venez de citer (cinéma et lecture).
D : Est-ce qu’internet est dangereux pour la santé de ses utilisateurs ?
C : Les utilisateurs lambda, absolument pas. Après c’est comme tout, faut pas non plus passer 35h derrière son écran sans manger et boire !
D : Le problème ne vient donc pas d’internet mais de l’excès qu’en fait son utilisateur, tout comme quelqu’un pourrait passer trop de temps à son travail. Est-ce que le problème existe à l’origine chez l’utilisateur, ou Internet est-il la cause du désordre mental ?
C : Je pense qu’une personne qui a un problème de santé "à cause d’Internet" aurait pu avoir ce problème de santé à cause de n’importe quel autre source de divertissement addictive. L’excès de tout peut causer des ennuis. Les spaghettis n’ont jamais tués personne, mais si on en mange 50 kilos, c’est sûr que notre corps va moins les apprécier. Il est question d’usage, pas de nature.
D : Parlons à présent des bénéfices d’internet. Avez-vous déjà participé à l’une de ses communautés ?
C : Oula oui... j’en ai même créées.
D : En quoi cela vous a-t-il été bénéfique ? Aurait-il été possible de le faire autre part que sur internet ?
C : J’ai créé un site d’informations qui a réunit des milliers de visiteurs chaque jour. Et une petite centaine de membres plus actifs pour venir discuter quotidiennement sur un forum Non seulement les conversations étaient riches et nombreuses (puisqu’elles pouvaient être suivies en parallèle) mais en plus chacun pouvait participer quel que soit son adresse. On avait des résidents Belges, Anglais, Américains, Japonais. Impossible de réunir une communauté aussi riche en louant une salle dans Paris.
D : Être drogué... passer du temps sur Internet, vous a donc permis d’accomplir des choses qui vous auraient été impossible dans la vraie vie, et à coût paradoxalement moindre en temps.
C : En gros, la communauté aurait pu exister sous une autre forme mais jamais sous une forme aussi évoluée. Être passionné par ce qu’apporte Internet m’a permis effectivement d’accomplir des choses dont je rêvais. Grâce à cette forte communauté, je me suis ensuite lancé dans la création et l’édition de magazine "papier" en presse. Et je n’aurai jamais pu le faire si je n’avais pas accumulé de l’expérience, de la notoriété, et des connaissances par Internet.
D : Est-il possible d’apprendre une culture, voire une langue sur Internet ?
C : Hmm... si l’on trouve des sources fiables, je pense que c’est tout à fait possible. Apprendre une langue sur Internet n’est pas forcément l’idéal, mais pour la culture, là, Internet est sans doute la source d’information la plus riche et la plus vivante.
D : A partir de combien d’heures peut-on dire qu’on passe "trop" de temps sur Internet ? Y-a-t-il une limite fixe ?
C : Je ne pense pas, cela dépend de chacun. Une mère de famille va sans doute trouver que passer plus d’une heure est beaucoup car elle a beaucoup de choses à faire. Tandis qu’un lycéen considérera qu’il a passé beaucoup de temps après 4-5h. Je pense vraiment que c’est relatif à chacun. On passe trop de temps dessus, lorsque cela nous empêche de faire d’autres choses. Et c’est valable pour tout.
D : On sait que certaines personnes perdent du contact social physique, par exemple en passant beaucoup de temps dans les univers virtuels... Mais ne sont-ils pas un équivalent, et n’y-a-t-il pas d’autres bénéfices ?
C : Equivalent pour moi non. Car les gens sont trop différents sur Internet. Ce sont des relations trop éphémères. Moins "réelles" que le contact social physique. Le bénéfice que j’y vois c’est le nombre et la richesse de ces communautés. Certains forums réunissent des milliers de gens, et tout autant d’avis. Mais est ce que "papoter" et "commenter" ses photos de vacances avec des dizaines d’inconnus remplace le plaisir de le montrer à ses proches/amis. Là je ne suis pas d’accord. Les deux univers sont donc tous deux très différents mais ont chacun leurs avantages.
D : Le monde d’Internet est rempli d’informations en tout genre, pensez-vous qu’une personne qui passe beaucoup de temps sur Internet va s’intéresser à moins, ou plus de sujets qu’une personne qui utilise peu internet ?
C : Il a accès a plus d’informations sur tout. Donc je pense qu’il va finalement picorer des informations partout. Et forcément connaître plus de choses qui ne va pas sur Internet. Mais est ce qu’il en saura plus qu’une personne qui passe son temps devant les documentaires télé en tous genres ? Je pense que sa véritable différence vient du fait qu’il va lui même à la pêche à l’information.
D : L’utilisateur d’internet a donc le choix là où les non-utilisateurs souvent subissent les informations ?
C : L’utilisateur d’Internet est actif effectivement. Les autres n’ont que des médias qui distribuent des informations. Ils peuvent zapper, changer de stations de radio, mais ils ne peuvent pas arrêter le chroniqueur pour lui demander plus d’informations sur un sujet précis. Internet lui le permet. C’est autrement plus riche. Cependant, l’un des problème d’Internet c’est que s’il y a beaucoup d’informations, il y a aussi beaucoup de "bruit". Un utilisateur drogué du net peut passer tout son temps à regarder des vidéos de chatons.
D : Est-ce que dans le futur, les gens passeront moins, ou plus de temps sur Internet qu’aujourd’hui ? Pourquoi ?
C : En moyenne plus. Puisqu’Internet sera sans doute installé partout. L’évolution de ce média se fait à un vitesse extraordinaire. Sans oublier bien sûr le téléphone portable qui va proposer ses connexions constantes sur le média. On ira sur Internet pour trouver son chemin, pour connaître la météo etc. Beaucoup de gens le font déjà mais je pense que tout le monde y viendra petit à petit.
D : Une personne qui passe beaucoup de temps sur Internet est réticente à arrêter de le faire, quelles peuvent en être les causes ? Est-ce une vraie addiction, ou un choix fait en toute conscience ?
C : Un peu des deux sans doute. Mais demandez aujourd’hui à un foyer de se séparer de sa TV on verra s’il n’est pas réticent. C’est parce qu’on s’habitue aux bienfaits du médium et on voit pas trop pourquoi on devrait s’en passer tant c’est pratique et intéressant.
D : De même, Internet est parfois critiqué car les gens font moins de sport en l’utilisant. Mais les gens ne font pas plus de sport en lisant en livre ou en regardant un film. Au final, n’est-ce pas une simple question de "préférence" que d’aller sur Internet plutôt que d’aller faire un jogging, ou y-a-t-il un réel besoin ? Est-ce que le comportement d’une personne peut par exemple devenir violent si on la prive d’internet ?
C : Je crois pas qu’on puisse devenir violent si on le prive d’Internet. A moins d’avoir déjà des problèmes à la base. Mais oui pour moi c’est une question de choix. Quelqu’un qui n’a pas d’appétence pour le sport va pas en faire tout court. Et trouvera toujours autre chose à faire. C’est pour moi un faux débat. Je crois pas que les addicts à la TV fassent plus de sport que les addicts au web.
D : Avec internet, est venu le jeu en réseau. Et internet est souvent associé avec le jeu en ligne chez les enfants. Des études ont montré que le jeu améliorait certaines capacités comme les réflexes ou la concentration. Est-ce que montrer du doigt les jeux vidéos n’est pas exagéré lorsqu’on voit les capacités demandées pour regarder le téléfilm de l’après-midi ?
C : Si les parents faisaient leur travail de parents, les jeux vidéo poseraient aucun problème. Là aussi, les jeux vidéos ont des tas de qualités. Son défaut viendrait du nombre d’heure excessif passé devant. C’est tout.
D : En passant beaucoup de temps sur internet, on peut tomber sur des choses qu’on aurait jamais eu l’occasion d’avoir nul part ailleurs. Par exemple, il est possible de télécharger (illégalement) certaines émissions d’autres pays, et également de profiter de la V.O. par exemple sur les séries, la majorité du temps absente en France. En avez-vous déjà fait l’expérience ?
C : Internet m’a permis de découvrir des artistes peu connus qui ne seraient ou ne sont jamais passés à la TV française. Et de même, je regarde beaucoup la TV américaine ou anglaise par ce biais. Et j’aurais bien du mal à m’en passer aujourd’hui. Et la question est très riche, car j’ai considérablement augmenté mon niveau d’anglais depuis Internet.
D : En somme : passer beaucoup de temps sur internet équivaut à une multitude de découvertes, une considérable amélioration dans de nombreux domaines, une extension des possibilités, ou encore un accès à des communautés qui gagnent en complexité et pertinence, et la liste peut continuer. Être drogué d’internet, c’est donc simplement profiter trop de tous ces bénéfices ?
C : En somme, oui.