Auteur de l'article : Kebaïli Alexandre
Le 12 juin 2009, la France présente au monde le dernier-né de son mariage d’intérêt avec les majors : HADOPI. L’HADOPI, c’est le nom donné à la "Loi Création et Internet" ou encore la "Loi n°2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet", descendante directe de la loi DADVSI et des Accords Olivennes, qui vise à sanctionner les "téléchargements constituant une infraction au droit d’auteur", considérés comme créateurs de "manque à gagner" pour les artistes et les majors.
Mais ne serait pas juste une excuse ?
Le 15 mai 2009, la prestigieuse université d’Harvard publie en interne une étude sur le téléchargement "Peer to Peer" (résumée ici)qui indique que "le P2P est largement bénéfique à la création artistique dans le monde et que le piratage a globalement un impact positif sur la variété et le nombre d’albums vendus" alors que pendant ce temps, ni le gouvernement ni les maisons d’éditions ne sont arrivés à produire la moindre étude corroborant leur point de vue sur la question. On pourrait alors se demander si cet argument, pourtant majeur dans le débat qui entoure la loi elle-même, n’a pas été inventé de toute pièce pour favoriser les majors, donc le crédo est que le P2P favorise l’appauvrissement des artistes et la baisse de la production d’œuvres, lui aussi contré dans l’étude d’Harvard qui statue que "Cet essai rend évident que nous n’avons pas une compréhension complète des mécanismes par lesquelles les réseaux de partage de fichiers viendraient à altérer négativement la production artistique. Bien que les consommateurs aient un accès de plus en plus facilité à des moyens d’enregistrement ou de diffusion, le nombre d’albums produit a plus que doublé. Dans ces conditions et à notre point de vue, il est compliqué de conclure que l’affaiblissement de la protection des droits d’auteur a un impact négatif sur la capacité des artistes à créer.". Dans le même temps, l’université de Rennes avait sorti une étude démontrant que les utilisateurs de ces réseaux de téléchargements décriés étaient les plus gros acheteurs de bien culturels. Ceci s’explique par le fait que beaucoup de personnes, convaincues par un morceau (ou un film dans une moindre mesure), pourtant téléchargé illégalement, décident d’acheter l’œuvre complète ensuite. Par ailleurs, la CNIL, dans son premier rapport sur la loi, émet une réserve : "constatant que le seul motif du gouvernement est de préserver les revenus de l’industrie du loisir, nous déplorons le manque d’études démontrant clairement le rôle du partage de fichiers dans la perte de revenus de cette industrie qui est par ailleurs en pleine mutation vers les formats numériques."
Une loi qui ne fait pas l’unanimité.
Surement conscients de défendre un point de vue plutôt faiblard, les pro-HADOPI sortent le grand jeu : La Ministre de la Culture, Christine Albanel, principale instigatrice du projet de loi, brandit comme un porte-étendard une certaine liste de "10000 signatures d’artistes" soutenant le projet de loi. Mais cette liste fait vite de l’ombre à ses instigateurs plutôt que de les aider, comme l’indique Numérama. La Quadrature du Net lance une étude sur le "fond" de cette liste, qui donne des résultats plutôt... édifiants : sur 9321 signataires, 7261 d’entres eux (soit 77%) n’ont aucune œuvre partagée sur le net. Pire, 4546 noms de cette liste ont moins de 30 résultats sur une recherche Google, 3088 moins de 10, bref une "invisibilité" sur le net qui en dit long. A cela il fait rajouter que beaucoup de ces noms ne sont en fait pas des artistes : nombres d’employés et de cadre des lobby et de la SACEM en font partie, des secrétaires à la direction, en passant par les techniciens et autres attachés de presse. On se demande alors quel poids cette liste peut bien avoir en faveur d’HADOPI, idée à priori adapté par les pro-HADOPI qui à la suite de cette étude n’ont plus fait revenir la liste dans les débats. Le gouvernement, lui aussi conscient des problèmes de popularité, déclare l’urgence sur ce projet de loi le 23 octobre 2008, limitant les débats à une lecture par Chambre. La loi sera alors votée en première instance par pas moins de... 16 personnes présentes dans l’hémicycle de l’assemblée lors de son étude. Pendant ce temps, le camp d’en face s’active. Les "contre" rassemblent nombre d’artistes, d’associations et de producteurs libres pour s’opposer au projet de loi. Parmi eux, on retrouve UFC Que choisir, la Quadrature du net et l’Isoc France, mais aussi la Featured Artists’ Coalition britannique, les producteurs indépendants Français et bien entendu les utilisateurs du net, dont plus de 60% se prononcent contre la loi. Le Parlement Européen lui-même interviendra sur le sujet en adoptant une résolution qui incite les Etats-membres à "éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telles que l’interruption de l’accès à Internet" et en votant un amendement empêchant de confier à une autorité publique le droit de couper l’accès Internet à un individu, sans le recours à un juge, et donc à un débat contradictoire.
Le "fond" de la loi :
La "Loi Création et Internet" prévoit la création d’une "Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet" (HADOPI, donc), un organisme responsable de la régulation du net, et de la future labellisation des sites Web de téléchargement autorisés, ainsi que des sanctions sur la base d’une "Riposte graduée" pour les contrevenants. Mais plusieurs articles de la loi dérangent : En effet, le premier texte prévoit que l’accès à l’Internet puisse être "coupé", après 3 avertissements par mail, par les Fournisseurs d’accès à internet eux-mêmes, sans possibilité pour le "contrevenant" de contester, ce qui ouvre la porte à la présomption de culpabilité et interdit de se défendre, deux choses pourtant totalement contradictoires avec la Constitution française. Le conseil constitutionnel est alors saisi sur 11 griefs d’inconstitutionnalité. Le texte de loi est alors modifié plusieurs fois, jusqu’à laisser deux choses supplémentaires : en premier, la création d’un mouchard HADOPI, destiné a surveiller l’utilisation d’internet sur le pc sur lequel il est installé, ce qui provoque une vive indignation de l’opposition, d’une part parce que la Ministre de la Culture a insistée sur le fait que le mouchard devrait être payant, ainsi que non compatibles avec les systèmes d’exploitation non-propriétaires (principalement GNU/Linux), laissant la main basse à Microsoft sur le marché, mais surtout parce que c’est une large atteinte à la vie privée, car ce programme espion allait même jusqu’à lire les boites mail. La seconde est l’assurance d’accès à une défense équitable avec maintenant, en plus de la Haute Autorité, des juges responsables et la création de 9 tribunaux spéciaux pour gérer les affaires. Il reste aujourd’hui encore beaucoup à faire de ce côté-là pour rendre HADOPI viable aux yeux de la loi, mais le gouvernement continue d’assurer que "Les droits des citoyens seront respectés".
HADOPI, au final l’œuvre d’incompétents :
Non content de nous mentir, de ne pas vérifier ses sources, et de ne pas être conforme à la loi, le gouvernement nous en rajoute encore une couche pour finir de prouver son incompétence sur le sujet. Décidé à promouvoir sa loi, un appel d’offre est fait pour la création d’un site dédié, jaimeslesartistes.fr. Durant les débats de l’assemblée, Christine Albanel laisse échapper que "Les pirates peuvent toujours essayer d’attaquer le site, il est super blindé", provocation fatale qui sera payée moins d’une heure plus tard lorsque le site tombera sous les assauts de hackers décidés à leur prouver qu’ils sont loin de maîtriser leur sujet. Le site sera alors transféré chez un autre hébergeur, le précédant signifiant qu’il ne voulait plus de ce site qui "gênait les autres utilisateurs". Le gouvernement oubliera alors de renouveler la location du nom de domaine, récupéré tout de suite par l’opposition pour ses propres intérêts. Mais ça ne s’arrête pas là : Christine Albanel, encore elle, assure à l’assemblée qu’Open Office, la suite bureautique libre, comprend un pare-feu, Fréderic Mitterrand lui nous raconte "La technique on y reviendra plus tard" d’un air méprisant, alors qu’il ne sait même pas développer l’acronyme HADOPI, et les députés eux-mêmes plongent dans le zéro pointé quand on leur pose la question "Qu’est-ce que le Peer to Peer". Alors pourquoi laisse-t-on à des personnes apparemment incapables d’assurer un travail correct sur le sujet un travail de ce genre ? Probablement parce que bon nombre des personnes qui en auraient les capacités auraient refusées, vu ce qu’on sait sur le sujet.
Au final, HADOPI est une loi somme toute inutile, car elle ne dérangera, dans sa forme actuelle, que les utilisateurs basiques d’internet. Des personnes possédant ne serait-ce qu’un peu de connaissances en la matière seront capables de la contourner sans problèmes puisque le niveau technique du contrôle proposés par le gouvernement ne prend pas en compte l’avancée technologique de ces dernières années : HotSpot Wifi et le "squat" des connexions, Emulation de systèmes d’exploitation fantôme, réseaux "underground", voire simple blocage de l’accès au net du mouchard. Malgré la volonté affichée de contrôle de l’internet, et de garantie de revenus pour les majors, du gouvernement, on est bien obligés de leur décerner la palme de l’incompétence pour le travail effectué jusqu’à maintenant. Le professeur Patrick Waelbroeck, du département Economie et sciences sociales de l’ENST, en dira même que « Hadopi est une mauvaise réponse faite par des gens désemparés ».
Quelques liens :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Cr%C3%A9ation_et_Internet#Consultation_de_la_Cnil http://www.numerama.com/magazine/12641-10000-signataires-de-la-Sacem-des-lobbyistes-en-masse-et-meme-un-heros-de-roman.html http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/l-universite-d-harvard-demontre-57902 http://www.laquadrature.net/wiki/Analyse_Liste_SACEM http://fr.readwriteweb.com/2009/02/26/prospective/hadopi-est-une-mauvaise-reponse-faite-par-des-gens-desempares/