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Auteur de l'article : SCHATZ AMANDINE

Troubles alimentaires et Internet

Au début des années 2000, des sites "pro-anorexie" peuplaient la toile. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les sites pro-ana : à l’origine

Que sont les sites « pro-ana » ? Ce sont des sites internet, blogs personnels pour la plupart, souvent tenus par des adolescentes et jeunes adultes, plus rarement par des garçons ; le contenu est variable, mais tourne autour des mêmes éléments essentiels : articles dédiés aux régimes alimentaires, au jeûne, à la pesée (souvent quotidienne, voire plusieurs fois par jour), la prise de mensurations, des « lettres » d’Ana, la personnification de l’anorexie mentale, pour rabaisser l’anorexique et accentuer sa volonté de perdre du poids, ses 10 Commandements, des albums photos de thinspirations (photos de corps maigres et citations visant à galvaniser l’anorexique dans sa maladie), et, éventuellement, billets d’humeur relatant les sentiments d’échec, aveux de « trahison » à Ana, crises de boulimie.

Des forums étaient également en ligne, mais ils sont plus ou moins passés de mode, comme beaucoup de forums destinés aux « jeunes ». Ils servaient de lien entre les pro-ana, qui pouvaient s’y échanger conseils pour moins manger, camoufler la perte de poids ou brûler les calories absorbées lors de « crises », par exemple, en plus du contenu classique des blogs personnels.

Très en vogue dans les années 2000, ce genre de sites a vu son déclin venir en 2008 quand le gouvernement français a voté un amendement au projet de loi santé, en avril, punissant d’un an d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende l’incitation à l’anorexie. Toutefois, cela n’a pas stoppé le mouvement, qui s’est en partie relocalisé sur d’autres plateformes moins regardantes quant au contenu publié, et s’est en partie dirigée vers une alternative plus moderne au blog personnel : les réseaux sociaux.

Une présence sur les réseaux sociaux

Internet a pris à quelque part le relais des starlettes de la chanson, et c’était une période de transition pour les adolescents, enfin les adolescentes surtout. Brigitte Manganelli, psychologue à Valence.

On s’inquiète de l’influence d’Internet sur les jeunes, parfois à tort, mais parfois à raison. Instagram est, de nos jours, la plateforme la plus propice à répandre les idées pro-ana, quand bien même elles ne se revendiqueraient plus comme telles. Le mouvement, qui était très organisé lors de l’époque des blogs personnels, a perdu en cohésion. La population est toutefois sensiblement la même, la tranche d’âge constatée englobant toujours les adolescentes et les jeunes adultes. L’esthétique parfois mignonne et délicate des blogs s’est souvent muée en une variation sur la dépression. L’appel à l’aide se fait plus flagrant : ces adolescentes cherchent quelque chose, quelqu’un.

C’est vrai que tout ce contenu est dangereux, mais justement, c’est un appel à l’aide, de la même façon que certaines blessures que l’on se fait […] sont un appel à l’aide vers l’extérieur. Brigitte Manganelli.

Les réseaux sociaux permettent également aux anorexiques de se connecter, de créer des groupes sur des applications telles que Kik ou WhatsApp, en majeure partie pour se soutenir dans leur perte de poids. Même si cela pourrait sembler malsain, il est important que les malades puissent échanger leurs ressentis.

Expérience vécue du point de vue du patient

L’adolescent a besoin de trouver quelqu’un pour écouter ce qu’il vit. Brigitte Manganelli.

Trop grosse.

Les chiffres sur la balance ont beau descendre, le reflet du miroir semble mentir. Les kilos s’effacent de la balance, mais le reflet semble rester figé. C’est faux, bien sûr. Même dix kilos de moins sont visibles sur un corps d’adolescente moyenne. Mais l’anorexie rend aveugle. Elle déforme la vision du corps. Ces jeunes filles qui font 1m60 à peine, des adolescentes, ont une vision complètement faussée de leur poids. L’une, pesant 62 kilos, s’afflige que son copain la trouve « grosse ». Une autre, 42 kilos, promets de faire des efforts pour ne plus être « tellement grosse, une horreur ! ». Leurs IMC vont du léger surpoids à la dénutrition. Pourtant, quasiment toutes se voient obèses, ou du moins parlent ainsi de leur corps.

Et ce corps énorme dans le miroir ne peut qu’appartenir à une personne seule. Il est impossible d’avoir des amis quand on est si détestable. Les amies qui nous disent que nous sommes très bien comme ça ? Mensonge. Mensonge éhonté. Tout ment. La balance ment, je suis encore si grosse. Qui voudrait bien de moi ? Qui sera mon compagnon d’infortune ?

Alors on cherche. On cherche quelqu’un d’autre qui pourra nous soutenir. On se fait des amies, parfois. Des ana buddies pour maigrir ensemble, échanger, s’encourager. Puis certaines disparaissent des réseaux. Hospitalisées ? Mortes ? Heureuses ? Impossible à déterminer.

Et parfois on retourne voir ces sites une fois « guéri ». Et on se rend compte que c’était fou, que c’était, oui, de la pure folie. Mais que dans cette pure folie, on cherchait juste un reflet à notre souffrance, un reflet qui ne mentirait pas comme celui dans la glace.

Les adolescents qui sont dans cette optique d’afficher leur souffrance vis à vis de leur alimentation sur leur blog cherchent à se connecter avec d’autres personnes qui peuvent les comprendre. Brigitte Manganelli.

Opinion d’un professionnel de la santé

Et selon vous, on peut guérir de cette vision de nous déformée qui pèse sur nous ? Comment ? L’accompagnement. C’est la réponse la plus évidente, mais il faut la donner. L’adolescent a besoin de trouver quelqu’un pour écouter ce qu’il vit. J’entends régulièrement des parents se demander ce que ça pourra bien faire que leur fille en parle tant qu’elle ne mange pas, ou interdire certaines activités sociales si elle ne mangeait pas, alors que c’est exactement l’inverse dont de tels patient ont besoin. Les thérapies de groupe, comme celles dont j’ai la responsabilité ici, sont encadrées de telle manière qu’ils puissent trouver un réceptacle à leur ressenti par rapport à leur corps et à la nourriture. Les thérapies individuelles, pour approfondir ce travail et « déterrer » la cause première du trouble alimentaire, sont également essentielles. Enfin, il faut continuer. Continuer à vivre, même avec les petits ratés, les épisodes de boulimie ou d’anorexie. Il est impossible de rembrayer dans une vie « parfaite » sans les petits ratés, et sans suivi sérieux, la plupart des patients rechutent car ils se sentent en échec sur la globalité de leur guérison, alors que ce n’est qu’un petit raté.

Comme si une bataille perdue signifiait que la guerre entière était perdue ? Exactement. Même si je n’aime pas beaucoup penser que c’est une guerre, parce qu’il n’y a pas d’ennemi clair, seulement un réapprentissage à faire, réapprendre à manger, à interagir avec les autres et avec soi-même.

Même si tous les médecins n’ont pas exactement la même opinion, beaucoup s’accordent à dire que ces sites, blogs, pages sur les réseaux sociaux sont « un pas, aussi maladroit qu’il soit, pour sortir de l’isolement ». Qu’en est-il de l’influence directe de ces sites sur les jeunes ? Que penser des commandements, des « lettres » d’Ana ? Des thinspirations souvent dérangeantes ? « La répétition [de ces images et textes] peut mener à des réactions imprévisibles, qui tiennent parfois de la mise en danger de soi, mais je ne crois pas que ces ‘mincepirations’ soient la cause même de ces tendances, mais plutôt qu’elles favorisent les chances de ‘tomber dans la spirale’. »

Blâmer les malades n’est pas le voie à suivre selon les médecins. Les pro-anas cherchent un accompagnement, quel qu’il soit. Elles sont symptomatiques d’une angoisse sociétale, et favorisent entre elles l’aggravation du phénomène sans en être la cause. Fermer les sites ne fait que les déplacer. Seul un soutien ‘en personne’ des malades, et un accompagnement psychologique peut vraiment influer sur le phénomène.

Rédigé par Maddy Schatz, avec l’aimable participation de Brigitte Manganelli.

Quelques sources :

Cairn.info

Article du journal "Innommable"

PDF Le phénomène pro ana

Article Slate

Infiltrée dans un réseau pro-ana



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